Après avoir passé des fêtes de fin d’année au cours desquelles nous avons réalisé quelques excès de tables et le mois de janvier dans le prolongement n’aidant pas à maintenir un équilibre alimentaire certain, nous nous sommes interrogés sur les bien-fondés d’une pratique se développant de plus en plus sur l’hexagone : le jeûne.
Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Difficile de répondre en une phrase tellement les définitions sont multiples, se complètent et parfois semblent s’opposer. Pour un grand nombre d’entre nous, le jeûne se résume à l’absence d’apport de nourriture. Un jeûne peut être volontaire ou non. On parle aussi de jeûne thérapeutique. Les médecins de campagne disaient jadis « mettez-le à la diète ». Certains indiquent que le jeûne est aussi avéré lorsqu’une personne se contente de boire de l’eau.
Quoiqu’il en soit, les médecins s’accordent à reconnaître que le jeûne est toléré par notre organisme à condition d’être épisodique. Il entraîne en effet une adaptation de l’organisme qui modifie ses besoins physiologiques en puisant dans ses réserves de graisses et d’eau.
Dans les faits, le jeûne est sans doute l’une des plus anciennes approches d’autoguérison. Même dans la nature, les spécialistes observent que les animaux cessent instinctivement de manger quand ils sont malades ou blessés. Le jeûne complet consiste à s’abstenir de tout aliment (solide et liquide), à l’exception de l’eau, pendant une période plus ou moins longue dans le but de reposer, détoxiquer et régénérer l’organisme. Selon ses tenants, le jeûne contribuerait au maintien d’une bonne santé, au même titre qu’une alimentation saine, l’exercice physique et l’équilibre émotif.
Les gens qui entreprennent un jeûne le font généralement pour « faire un grand ménage » ou donner au corps des conditions optimales de guérison. De tout temps, il a également été associé à des pratiques spirituelles ou religieuses.
L’application du jeûne à des fins thérapeutiques demeure toutefois un sujet controversé. Certains praticiens y voient un danger pour la santé ou croient qu’il serait imprudent de l’entreprendre sans la supervision d’un professionnel de la santé.
Comment pratiquer le jeûne ?
On utilise indifféremment le terme « jeûne » pour englober plusieurs types de cures et de jeûnes. Toutefois il importe de faire une distinction entre le jeûne complet et les cures. Au cours d’un jeûne véritable, seule l’eau est permise et on recommande le repos complet. La cure (ou jeûne partiel) est plutôt basée sur diverses diètes restreintes comprenant des jus de fruits, de légumes ou d’herbe de blé, et parfois certains autres nutriments (céréales, pousses, infusions, bouillons, suppléments alimentaires, etc.).
Ces cures, qui se veulent souvent thérapeutiques, peuvent être adaptées aux besoins particuliers des jeûneurs et varient selon l’approche des intervenants. Elles conviennent aux personnes qui ont des besoins particuliers, qui ne peuvent, en raison de leur santé, vivre un jeûne complet, ou qui souhaitent s’initier au jeûne par une approche plus douce.
Bien que la tradition reconnaisse les vertus du jeûne, les premiers fondements scientifiques ne remontent qu’à la fin du XIXe siècle. Le Dr Isaac Jennings (1788-1874) fut l’un des premiers médecins américains à le préconiser. En 1822, il renonce à l’usage de la médication et il opte alors pour une nouvelle science de la santé basée sur des principes naturels, dont le jeûne, que l’on appela ensuite hygiène naturelle ou système hygiénique.
« Le jeûne une nouvelle thérapie ? »
C’est la question que s’est posé Thierry De Lestrade, réalisateur du film portant ce titre. Le documentaire est sorti en 2002 et a été notamment diffusé sur Arte. On peut aussi trouver le livre portant le même titre.
A travers ce film, le réalisateur a fait connaître les travaux de deux médecins Valter Longo, professeur de gérontologie et de biologie à l’Université de Californie, convaincu que le jeûne accroît l’effet bénéfique de la chimiothérapie sur les cellules cancéreuses et limite les effets secondaires et Youri Nicolaev, psychiatre soviétique, dans les années 50.
Thierry De Lestrade explique l’approche de Valter Longo : « En 2007, il a l’idée de confronter l’organisme à un poison et d’observer si le jeûne a un réel effet protecteur. Mais quel poison choisir? Il choisit un poison largement utilisé en médecine : la chimiothérapie. En choisissant la chimio, son but est d’être utile: si le jeûne pouvait protéger les cellules saines de la chimiothérapie, cela serait révolutionnaire !
On le traite de fou. Dans les labos de Californie où l’on joue avec les gènes, faire jeûner paraît une idée absurde. L’équipe de Longo prend deux groupes de souris, atteintes de cancer. Le premier groupe mange sans restriction, le second est soumis à un jeûne de 48 heures. On donne des fortes doses de chimiothérapie à toutes les souris et… surprise : les 2/3 des souris nourries normalement meurent alors que les survivantes ont des atteintes neurologiques et musculaires, tandis que les souris qui avaient jeûné sont en pleine forme. Nous montrons les images de ces souris dans le documentaire diffusé par Arte, elles sont impressionnantes.
Comment expliquer ces résultats spectaculaires? Longo y répond en faisant appel à la biologie moléculaire – et c’est sa grande force : utiliser les techniques scientifiques les plus modernes. Grâce à ces techniques, il observe la modification de l’expression des gènes après 48 heures de jeûne environ. Il peut expliquer que les cellules saines se mettent en mode «protection», en économisant leur énergie, alors que les cellules cancéreuses sont incapables de se protéger. Elles détestent le jeûne, cherchent toujours du «carburant» qu’elles ne trouvent plus. Quand la chimio arrive dans l’organisme, les cellules saines s’en protègent et les cellules cancéreuses l’absorbent avec avidité. »
Évidemment ces conclusions appellent beaucoup de prudence. Toutefois, ce ne sont pas les seuls travaux scientifiques qui ont été réalisés sur la question.
Comme nous le citions plus haut, Youri Nicolaev, psychiatre soviétique a mené des travaux sur la question dans les années 50. Des centaines d’études ont d’ailleurs été menées en Union soviétique pendant près de quarante ans. Il est clair que la guerre froide a limité la diffusion de ces travaux et leurs résultats.
Pour sa part Youri Nicolaev est opposé au gavage forcé de certains patients en psychiatrie. Il va alors laisser quelques-uns de ses malades ne pas s’alimenter le temps qu’ils le désirent. Et le médecin observe des rétablissements spectaculaires. Avec l’assentiment prudent des autorités, il multiplie les cas, toujours avec l’accord éclairé du patient. Et non seulement il note des améliorations de l’état psychique, mais aussi de l’état physique. Les maladies somatiques tendent à disparaître. On peut dire que ses premières recherches sont essentiellement empiriques.
Puis, avec toute une équipe de biologistes, Youri Nicolaev mène alors des recherches sur les deux aspects : psychiques et physiques.
A la suite de ces résultats, le régime soviétique lance ensuite un programme de recherche sans précédent : on étudie les effets du jeûne dans toute l’Union soviétique, à Moscou, Leningrad, Kiev, Minsk, ou encore Rostov.
Ces études se poursuivent intensément jusqu’en 1988, année où l’Académie des Sciences intègre le jeûne dans la panoplie thérapeutique. Une spécialité est créée, un manuel est publié avec indications et contre-indications.
Les indications sont nombreuses (d’après les résultats de ces études), elles concernent surtout des maladies chroniques : maladies des bronches, cardio-vasculaires, estomac, intestin, endocriniennes, digestives, articulaires ou osseuses, peau. A noter que parmi les contre-indications, outre les troubles alimentaires, se trouve le cancer. Les chercheurs soviétiques pensaient que le jeûne pouvait avoir un effet sur le cancer, mais ils n’avaient pas voulu, par prudence, entreprendre d’études cliniques avec les malades cancéreux. Ceci explique le classement du cancer dans les contre-indications.
Où peut-on suivre un jeûne ?
En Allemagne, la pratique du jeûne est mieux acceptée et mieux comprise qu’en France. Le jeûne thérapeutique y a été expérimenté dès le début du XXème siècle. Aujourd’hui, une dizaine d’hôpitaux publics proposent des cures de jeûne, notamment l’hôpital de la Charité à Berlin et ces cures sont remboursées par le système de sécurité sociale allemand.
On trouve également de nombreuses cliniques spécialisées en Suisse et en Russie.
En France, les centres de jeûne se multiplient, proposant des encadrements différents les uns des autres, incluant des activités ou non. Pour certains, un médecin accueille les jeûneurs et suit notamment ceux suivant un traitement médical. Nous en reparlerons dans le témoignage que nous avons obtenu.
Témoignage d’un jeûne
Nous avons rencontré Geneviève qui a suivi un jeûne au centre « La ferme de Divaly » vers Châteauchinon. Ce centre propose notamment des soins par l’ayurvéda, une tradition indienne de soins. Elle nous a expliqué avoir suivi un jeûne selon la méthode Buchinger.
Pour elle, il s’agissait de son premier stage de jeûne. Toutefois elle n’en était pas à sa première expérimentation : « Jusqu’à présent, j’avais expérimenté la mono-diète avec des jus de baie de sureau par exemple. Mon but était un nettoyage de mon corps. J’ai expérimenté la nourriture crue. Pour moi, mon objectif était de nettoyer mon corps par une cure physique. En fait j’aime bien manger. Et parfois je me laisse aller… » expliquait-elle.
C’est ensuite par une rencontre qu’elle a appris la possibilité de réaliser le jeûne. Ici, elle a suivi une démarche particulière, puisque le jeûne était réalisé en collectif, avec un groupe d’une quinzaine de personnes.
Évidemment, nous nous sommes demandés quelles avaient été ses sensations pendant cette période : « Je n’ai pas eu de sensations de faim. J’ai vraiment senti dans la façon dont c’était organisé que nous nous nourrissions d’autre chose, d’échanges avec d’autres personnes, avec la nature » a-t-elle expliqué. Nous avions une méditation le matin, suivie de causeries. Le Docteur Odile Waché nous donnait des informations sur les effets du jeûne. J’avais vraiment la sensation que l’être était nourri sur tous les plans. » a-t-elle expliqué.
Le séjour durait 10 jours, comprenant un jour de rupture de jeûne et deux jours pour se réalimenter progressivement.
Geneviève nous a expliqué que ce n’était pas un jeûne à 100% : « On buvait autant qu’on voulait (eau, tisane). Le matin, on avait un citron pressé. A midi, nous prenions 200 ml de jus de légumes. Le soir, nous buvions un bouillon de légumes, c’est-à-dire l’eau de cuisson.
Une fois par jour, nous nous allongions pour faire une sieste avec une bouillotte sur le foie. Nous prenions des ampoules de radis noir et des pastilles de Harlem. L’équipe nous suivant était constituée de trois personnes : un médecin, un professeur de yoga et une personne s’occupant de l’organisation et des marches. »
Force est de constater qu’il existe autant de méthodes de jeûne que d’équipes. Geneviève s’est rendue à cet endroit par connaissance.
Et la présence d’un médecin, de surcroît urgentiste, était rassurante pour elle. Parmi les personnes présentes, il y avait deux ou trois personnes qui étaient en traitement d’un cancer ou qui avaient eu un cancer.
« C’était une super expérience. C’était bien plus que ce que j’avais pensé, y compris dans les relations avec les personnes. On avait des échanges profonds, beaucoup d’écoute et de respect. Et puis, pendant le séjour, une sensation de vitalité s’installe petit à petit. Et les moments de fatigue, on les a seulement au début. » a conclu Geneviève.
Si Geneviève a été tout à fait satisfaite de son séjour, ce n’est pas toujours le cas des jeûneurs. En France, il reste une véritable réticence à l’égard du jeûne qui facilite sans doute l’installation de méthodes non encadrées et non accompagnées par le domaine médical pour un certain nombre d’entre elles. Geneviève avait clairement choisi un stage avec la présence d’un médecin afin de réduire tout risque pour sa santé.
D’autres pays en Europe et dans le monde plus globalement se sont déjà intéressés à cette méthode. Est-il juste de continuer à faire la sourde d’oreille sur cette approche ?
Partagez avec nous votre avis sur cette question.
Nous vous donnons rendez-vous pour une prochaine fiche santé. Et d’ici là, portez-vous bien.
Émilie Mondoloni